19.4.20

"Le Monde de Kanako", Tetsuya Nakashima, 2014

Le Monde de Kanako (Kawaki), Tetsuya Nakashima, 2014
Bien que le générique à la Tarantino laisse penser que nous nous apprêtons à visionner une sorte de  grindhouse, il n'en est rien. Le film, complexe et travaillé, s'avère, par son réalisme, beaucoup plus choquant et perturbant qu'un film d'exploitation.
Une jeune fille, Kanako, a disparu. Son père décide d'enquêter pour la retrouver. C'est à travers les témoignages de ses amis et de flashback que l'on découvre peu à peu la jeune fille, son passé, et les raisons de sa disparition. Un scénario rebattu, me direz-vous. Non, parce qu'ici le père est un malade mental, alcoolique, haineux et violent.
L'œuvre s'ouvre sur une citation de Cocteau, "Une société n'est confuse que pour un esprit confus",  et continue par une suite de séquences colorées sur le thème de Noël brusquement interrompues par des flashes sombres montrant en plan rapproché le visage d'un homme proférant insultes et menaces à l'encontre d'une femme qui n'apparaît pas sur l'image. On ne peut s'empêcher de voir d'un côté la vie idéale et de l'autre la réalité, et d'un côté dieu (symbolisme de Noël, statue de la Vierge) et de l'autre le diable, car la voix de l'homme ressemble à celle que l'on prête aux personnages démoniaques ou possédés.
Des deux voies, le film choisit la seconde, c'est à dire que nous embarquons pour deux heures de violence et de comportements malsains pendant lesquelles aucun répit ne nous est laissé car pas une seule scène n'y échappe. Nous avons droit à un deuxième épisode d'images de joie, pop, colorées, acidulées, qui fait écho à celui de Noël, mais comme nous sommes dans le réel, il s'agit de la joie fausse, artificielle et toxique provoquée par la prise de substances illicites. Une illusion qui n'a pour but véritable que de fournir de nouvelles victimes aux pervers.
Dans un des ses précédents films de Nakashima, Confessions, nous avons vu à quel point les relations parents-enfants étaient perturbées parce que les adultes ne tenaient plus leur rôle. Ici, le sujet reste le même mais, alors que Confessions étaient traité de manière classique avec une approche psychologique fouillée, ici il ne reste que les actes bruts. Le mal n'a plus besoin de causes, d'excuses ou d'explication pour exister. Il est et se suffit à lui même. Le monde de Kanako est un monde de prédateurs occupés à piéger leurs victimes. On y remarque même une vraie jouissance à dégrader l'innocence, la pureté et la beauté. Il n'y a plus ni parents ni enfants. Tous sont corrompus. Plus aucun sentiment n'est échangé, la violence et l'humiliation tiennent lieu de rapport sociaux et de moyen d'expression. La lecture favorite de Kanako est Alice au Pays des Merveilles. Elle se compare à Alice pendant sa chute dans le terrier de lapin. Dans ce film, c'est la société entière qui, à son image, est en chute libre et infinie.
Au point de vue de la réalisation, Nakashima n'a rien perdu de sa maestria, et si l'on juge un film par sa capacité à susciter la réflexion, on peut dire que c'est un bon film, pourtant je ne le conseillerais à personne. On se demande si le réalisateur, pareil à ses personnages dégénérés, prend plaisir à nous entraîner dans la fange ou s'il fait œuvre de moraliste en nous infligeant un électrochoc destiné à susciter une prise de conscience.
Si vous souhaitez découvrir les œuvres de Nakashima, je vous conseillerais plutôt, pour un film divertissant et frais, d'opter pour Kamikaze Girls, et si vous préférez un drame, Memories of Matsuko .

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