« Un jour les fleurs s'inclineront pour mourir,
elles laisseront tomber comme un diamant leur âme lumineuse,
elles laisseront tomber comme un diamant leur âme lumineuse,
alors les deux gouttes d'eau pourront se rejoindre et se confondre. »
Avant d'ouvrir ce livre, je n'avais jamais rien lu de Judith Gautier, fille de l'écrivain Théophile Gautier, et pour être franche, je n'avais même jamais entendu parler d'elle. Je l'ai découverte par l'intermédiaire d'un groupe anglophone dédié à la littérature du XIXe siècle. Ce qui m'a fait m'intéresser à elle, c'est sa passion pour l'Extrême-Orient, et j'ai ouvert La Sœur du Soleil parce que l'histoire se passait au Japon. Je n'attendais pas grand chose de cette lecture, et j'ai même commencé la lecture en mode "cherchez l'erreur", tant je m'apprêtais à y trouver un Japon de pacotille. Force a été de constater qu'elle écrivait bien, qu'elle savait parfaitement combiner ses intrigues, donner vie à ses personnages, que son histoire était convaincante et le roman agréable à lire.
La Sœur du Soleil, d'abord publié sous le titre de L'Usurpateur, est un roman historique qui prend place à une période charnière de l'histoire du Japon, au tout début du XVIIe siècle, à la fin de la Période Sengoku (période des Royaumes Combattants), au moment de l'achèvement de l'unification du Japon par Tokugawa Ieyasu, premier Shogun de la dynastie héréditaire qui commença en 1603 et perdura jusqu'en 1867, et qui recouvre la brillante période d'Edo.
À l'origine de l'unification du Japon, on trouve trois guerriers : Oda Nobunaga(1534-1582), qui commença la conquête, et deux de ses vassaux, Toyotomi Hideyoshi (1536-1598) et Tokugawa Ieyasu (1543-1616) qui l'achevèrent. À la mort d'Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi prit la tête de son armée et finit par conclure une alliance avec Tokugawa Ieyasu afin de se débarrasser d'ennemis communs. Hideyoshi mourut sans réussir à mener à bien tous ses projets, laissant un fils Hideyori (1592-1615) trop jeune pour lui succéder. Connaissant ses "alliés", Hideyoshi avait pensé plus sûr de confier la régence à un groupe d'hommes plutôt qu'à un seul. Ils étaient cinq, dont Ieyasu qui eut tôt fait de se débarrasser de la concurrence – on ne devient pas le plus grand des Shogun par hasard. L'usurpateur du titre d'origine, c'est lui.
Ce que le roman de Judith Gautier raconte, et interprète assez librement, c'est donc la manière, dont le rusé Ieyasu (Hiéyas dans le roman) s'est emparé du pouvoir, spoliant le jeune Hideyori (Fide Yori dans le roman) de son héritage. Le véritable héros du roman, toutefois, n'est aucun de ces deux personnages, mais le prince de Nagato, ami et favori de Hide Yori. Paré de toutes les vertus - beau, intelligent, courageux, raffiné, amoureux, loyal et fidèle en amour comme en amitié – elle a fait de Nagato le héros romantique idéal.
En revisitant l'histoire du Japon à travers les aventures guerrières et amoureuses du brillant Nagato, Judith Gautier est parvenue à dresser une belle fresque qui possède tous les ingrédients pour tenir son lecteur en haleine jusqu'au bout. Excellant dans la description des personnages et des scènes de genre, elle y raconte fêtes populaires, réjouissances à la Cour, et spectacles de kabuki comme si elle y avait assisté… Le récit n'est pas exempt d'erreurs et d'anachronismes, car ce qu'elle décrit c'est le Japon du XIXe siècle plus que celui du début du XVIIe siècle. Elle fait, par exemple, flotter le Hi no Maru, le drapeau japonais à soleil rouge sur fond blanc, parlant de l'étendard national du Japon, alors qu'il ne l'est devenu officiellement qu'en 1870. On voit cependant qu'elle s'était sérieusement documentée et que beaucoup des libertés prises avec la réalité de cette période compliquée et troublée de l'histoire du Japon ont dû l'être pour des raisons littéraires.
Après avoir refermé ce livre, je me suis lancée dans la lecture des mémoires de Judith, Le Collier des jours – Souvenirs de ma vie, pour savoir comment elle en est venue à s'intéresser à l'Asie. Je me suis retrouvée plongée dans l'intimité de la famille Gautier et de son cercle d'amis, poètes, écrivains et artistes. J'y ai vu défiler Flaubert, Baudelaire, les Goncourt et bien d'autres. Je suis entrée chez Wagner et Cosima, car Judith était une de ces ferventes wagnériennes, une véritable groupie que l'on découvre en adoration devant le Maître. J'ai vu Liszt, plus tout jeune et déjà prêtre, mais poursuivi encore par une horde de femmes… J'ai vu la blanche Maria de Kalergis transformer en pantins dociles tous les hommes qu'elle approchait, à commencer par Théophile…
C'est tout un monde disparu que ressuscite ce "collier", une petite société artiste et bohème qu'on aurait pris plaisir à fréquenter.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire