26.1.15

Te plait-il, est-il beau ?

 
J'étais en train de m'évertuer à caser de vieux bouquins, récupérés ici et là, dans ma déjà débordante bibliothèque, quand, ouvrant par hasard une édition des Récits de Belkine de Pouchkine publiée en 1947 aux éditions du Chêne, je suis tombée sur cette photo de Yul Brynner. Au dos, quelqu'un avait écrit à l'encre bleue :
"Te plait-il, est-il beau ?"
Le message était adressé "à Chantal".

S'il est une chose que j'aime particulièrement, c'est ouvrir un livre ancien et y trouver un document ou une photo. Yul Brunner marquait la page 81. La carte postale est plus tardive que le livre -  j'ai vérifié. Yul Brynner s'est rasé la tête en 1951 (bien obligé - ce n'était ni son idée, ni à son goût au départ) pour jouer à Broadway dans la comédie musicale de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II, The King and I (Le Roi et moi), l'histoire vraie, quoiqu'outrageusement romancée/déformée, d'Anna Leonowens et du roi de Siam.
J'imagine que Yul Brynner a fait craquer Chantal et sa copine anonyme au moment où la version cinématographique de la comédie musicale est sortie en France, soit vers 1956… L'année 1956 est également celle de la sortie des Dix Commandements, film pour lequel, devant jouer le pharaon torse nu, Brynner avait travaillé dur pour se faire une belle musculature, ce qui se transparaît sur la photo bien qu'il soit habillé.

Cette petite incursion dans la biographie de l'acteur m'a réservé quelques surprises. Je savais vaguement qu'il venait de Russie. Il aimait à raconter qu'il s'appelait Taidje Khan et était né sur l'île de Sakhalin, et qu'il était mi-Suisse, mi-japonais. En vérité, il est né à Vladivostok, le 11 juillet 1920 de Marousia Dimitrievna (Blagovidova), fille d'un médecin russe et de Boris Yuliyevich Bryner, un ingénieur d'origine Suisse-Allemand et Russe. Quand le père abandonna la famille, la mère emmena ses deux enfants, Yul et sa sœur, à Harbin, en Mandchourie. C'est drôle de penser que Brynner, né la même année que Tôshiro Mifune, a tout comme lui passé son enfance en Mandchourie, l'un à Harbin, l'autre à Dalian (900 km de distance - ils n'ont pas dû s'y rencontrer), et qu'ils se sont retrouvés, quelques trente ans plus tard, à jouer dans les deux versions de la même histoire, l'un en mercenaire l'autre en samouraï.

Entre la Mandchourie et les Etats-Unis, il y eut pour Yul Brynner, chose que j'ignorais totalement, un séjour de quelques années (1934 à 1941) à Paris. C'est l'époque de son adolescence. Il quitte l'école assez tôt et mène une vie d'artiste, jouant de la guitare dans les boites de nuit, passe par le théâtre des Mathurins avant de devenir trapéziste dans la compagnie du Cirque d'Hiver. Lors de son séjour en France, il aurait aussi, accessoirement, été le dealer d'opium de Jean Cocteau.
Il part aux États-Unis en 1941 pour étudier l'art dramatique auprès de la troupe de Michael Chekhov. Débute alors la partie la plus connue de sa vie, mais son histoire avec la France est loin d'être terminée, car après sa mort, survenue le 10 octobre 1985, ses cendres ont été ramenée en France et se trouvent maintenant au cimetière de l'Abbaye Royale de Saint-Michel de Bois-Aubry, à une cinquantaine de kilomètres de Tours. Étonnant, non ?

C'est fou comme une photo oubliée dans un vieux livre peut nous faire voyager.

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