3.10.10

"Young Yakuza" de Jean-Pierre Limosin


Depuis, que je m'intéresse au cinéma japonais et au Japon, je fais les bacs de soldes des DVD et j'achète tout ce que je trouve ou presque, ce qui ne me ruine pas, car en général il n'y a pas grand chose. C'est ainsi que j'ai acquis une copie de Young Yakuza de Jean-Pierre Limosin. Je ne suis pas fan de films de Yakuza et je ne l'aurais pas acheté si je n'avais auparavant vu et apprécié Tokyo Eyes. Hier, comme je ne savais pas quoi faire de ma soirée, j'ai pris ce film au hasard, je l'ai mis dans le lecteur, mais en voyant les images j'ai failli renoncer… Est-ce qu'il n'y avait rien de plus joli et de plus poétique pour occuper un samedi soir ? Et puis je me suis ravisée, et j'ai continué.

Je ne savais rien de ce film et en visionnant les premières scènes j'ai été surprise par le réalisme des personnages. J'ai mis un petit moment à comprendre, puis à me persuader, que ce chef Yakuza au physique et aux talents d'acteur était réel… Young Yakuza n'est pas un film de fiction, c'est un documentaire, mais je l'ignorais ! Après cela, je suis restée scotchée devant l'écran… car c'était mieux que tout ce que j'avais pu espérer.

Le film débute par ce message :
Au jour où ce film commence, il y aurait 86 301 Yakuzas dans l'archipel japonais, répartis entre plusieurs syndicats du crime.

Le mot Yakuza viendrait du monde des joueurs professionnels. Littéralement ya-ku-za signifierait huit-neuf-trois.

Dans Young Yakuza, on entre dans le milieu Yakuza en même temps qu'une jeune recrue aussi ignorante que nous et qui en découvre les codes. On en apprend beaucoup sur les Yakuza, même si le côté sombre de leurs activités n'est jamais évoqué… C'est Kumagai, le boss du Kumagai-Gumi, un type intelligent, qui détermine ce que le film révèle et ce qu'il tait... Il parle avec aisance et s'exprime en homme d'affaires qui doit s'adapter aux évolutions de la société. On l'entend tenir des propos du genre :

Les jeunes gens aujourd'hui n'ont aucune raison d'être attirés par notre milieu. Ils ne sont pas libres. Financièrement, cela ne vaut pas le coup puisqu'ils n'ont pas de salaire. Et la hiérarchie est très stricte. Du coup, il faut qu'on réfléchisse à la façon dont on peut donner de l'espoir et des rêves à ces jeunes d'aujourd'hui. C'est un vrai problème pour nous.

Au long du film, on voit, entrevoit et découvre un tas de choses - par exemple, que le fait d'être Yakuza aggrave toutes les sanctions pénales, quels que soient les délits commis. Que le clan s'occupe des familles de ceux qui vont en prison, et qu'il est solidaire même quand les gars ne tombent pas en service commandé. Les fautifs le paient peut-être après, mais cela n'est pas dit. Le film se termine avec l'évocation nostalgique, par le chef, du rôle et de place des Yakuza dans la société, au moment où il a débuté. On ne sait pas quel âge il a, mais il ne semble pas bien vieux :

Bien sûr, on n'est pas des enfants de chœur. On a quelquefois recours à la violence. Notre espèce se débat et la corde se serre autour de nos cous. Quand j'avais votre âge, vingt ans, les choses étaient différentes. La nuit, nous remplacions la police. Les commerçants et les hommes d'affaire s'appuyaient sur nous. C'était le bon vieux temps. S'il est une chose que je regrette, c'est que vous n'ayez pas connu cela. C'est dommage. Mais même si les temps sont durs aujourd'hui, il faut qu'on s'en sorte. Les lois changent et elle deviennent plus strictes, il nous faut trouver des solutions. Comment pensez-vous qu'on va faire ?

Notre boss s'est livré beaucoup, mais au final très peu. On l'a surtout vu au bureau, dans ses fonctions de manager. On a vu les rituels autour de lui, mais on n'a rien su de plus… Il est resté très évasif sur les raisons qui lui ont fait gagner puis perdre sa place de cadre au sein de l'organisation…

Si on en apprend un peu plus sur ses activités professionnelles, c'est parce que, dans un autre documentaire offert en bonus sur le DVD, il s'étend davantage sur le sujet. En lisant entre les lignes, on voit où la violence s'insère et comment… On y apprend que les autocollants "entrée interdite aux membres d'organisations criminelles" qu'il montrait dans le film provenaient en fait des endroits qu'il contrôle et où il les fait afficher exactement comme les autres commerçants. C'est sa parade au phénomène, car il n'a pas le choix. Comme il le confesse lui-même, quand d'un seul coup 80% des magasins se sont mis à afficher ces avis, cela l'a fâché, mais ils étaient trop nombreux pour qu'il puisse intervenir. On en conclut facilement que si seuls quelques commerçants s'étaient risqués à cette opération, il leur aurait vite fait remballer leurs étiquettes...

On se demande pourquoi il a accepté de figurer dans un documentaire (***), car une telle démarche n'était pas évidente, mais on se doute que c'est une opération de communication. Une opération réussie, puisque par moments il a même l'air sympathique.

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(***) - Mise à jour. Après avoir lu cet article, on ne se le demande plus, car ce n'est apparemment pas Limosin qui a sollicité le parrain pour faire un film, mais le contraire. Un détail sur lequel le cinéaste est resté remarquablement discret. En regardant le film, on avait bien compris que c'est le boss qui décidait de tout, mais le fait que le projet entier soit à son initiative n'était pas spécialement mis en évidence.
D'autres interviews de Limosin : Le Monde, Dissidenz

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