27.1.14

"Albator, corsaire de l'espace " de Shinji Aramaki, 2013

 
Par un week-end pluvieux, quoi de mieux qu'une balade dans la galaxie en compagnie du Capitaine Harlock, mieux connu, sous ce ciel hexagonal gorgé d'eau, sous le nom d'Albator.
Destination : un futur apocalyptique. Pour survivre, les terriens ont été obligés d'aller fonder des colonies un peu partout dans la galaxie. A bout de ressources, leur seul espoir est le retour sur terre. Hélas, ils sont trop nombreux. S'ensuit alors une guerre fratricide pour le contrôle de la planète qui voit la victoire d'une coalition appelée Gaia. Celle-ci contrôle désormais la terre et en interdit l'accès. Albator est un dissident. Il a refusé de se soumettre à la coalisation et a décidé de continuer la lutte. Pour cela il dispose d'un vaisseau spatial doté d'une technologie extraterrestre que les autres n'ont pas, et d'un équipage de laissés pour compte qui sont prêts à se battre avec lui jusqu'à la mort.

Avant même d'entrer dans le cinéma, le détail qui m'a sauté aux yeux sur l'affiche est l'utilisation du mot "corsaire". Le titre d'origine est Space Pirate Captain Harlock.
Contrairement à l'opinion répandue, "pirate" et "corsaire" ne sont pas des appellations interchangeables. Alors qu'un pirate est un hors-la-loi qui attaque les navires pour son propre compte, un corsaire était un civil autorisé par son pays, en temps de guerre seulement, à attaquer les navires battant pavillon ennemi. Il devait rapporter son butin aux autorités et respecter un certain nombre de procédures et de règles... Albator, qui agit de son propre chef et ne rend de comptes à personne n'est donc pas un corsaire.

Sur l'affiche également, le commentaire de James Cameron, "mythique, épique et visuellement sans précédent". Cameron, qui s'y connaît, a parfaitement bien résumé le film. En fait, à l'erreur de traduction près, l'affiche donne une bonne idée de la tonalité générale du film. C'est de l'animation avec un grand A. Magistrale et magnifique. Les décors sont grandioses, les personnages très réalistes. Les héros sont particulièrement beaux. Tout est si parfait et précis qu'on finit par oublier qu'il s'agit d'une animation. L'aspect visuel est ravissant, dans le sens qu'avait le mot à l'origine, c'est à dire qu'il nous enlève, nous saisit. On reste bouche bée devant un spectacle pareil. Rien que pour cette réalisation somptueuse le film  mérite toutes les étoiles possibles (et encore, je ne l'ai pas vu en 3D, à mon grand regret).

Concernant l'histoire, n'ayant ni lu le manga, ni vu la série télé, j'ignore comment elle se situe par rapport à eux, mais, même pour qui n'est pas un fan de toujours du capitaine pirate, elle est frustrante, car on y va pour Albator et on est un peu décontenancé de découvrir d'abord qu'il n'est pas le personnage central de l'aventure et ensuite le bizarre portrait qui est fait de lui. Un jeune blanc-bec venu s'enrôler sur son vaisseau lui vole la vedette et c'est la métamorphose progressive de ce garçon en un nouvel Albator que le film s'emploie à raconter. Albator, lui, semble suivre la pente inverse, une pente descendante, celle du renoncement.
 
Dans un film de héros classique, Albator serait venu, aurait vu, aurait vaincu et serait reparti glorieux vers d'autres exploits... A vrai dire, c'est un peu ce qu'on attendait de lui, mais là, Albator est venu, a vu, s'est battu, mais a-t-il vaincu ou pas? Et voulait-il vaincre d'ailleurs? On a l'impression d'une sorte de désenchantement, d'effacement volontaire, de démission du héros. Ayant failli en toute bonne foi, il semble avoir beaucoup plus de doutes que de certitudes. Il est à la fois héros et anti-héros, personnage emblématique mais dont le rôle est secondaire... Isolé, ténébreux, torturé, son personnage devient si indéchiffrable qu'on (et ce "on" inclut même son équipage) finit par douter de ses intentions véritables et de ses capacités. Si lui enlever le rôle principal et le montrer face à ses échecs et à ses doutes le fait paraître plus profond, on se demande tout de même, à voir ce film qui à l'air de vouloir en finir avec Albator par tous les moyens, si le scénariste n'était pas lui-même un membre de la coalition Gaia. Je le soupçonne même d'avoir pensé très fort à lui infliger une mort humiliante pour laisser le champ libre et toute la gloire à son jeune double. Cette ambiance fin de règne est assez inattendue. C'est un film plutôt pessimiste.

A la sortie, quand j'ai demandé à mon neveu de quatorze ans ce qu'il en avait pensé, il m'a dit "Ben, je n'ai pas bien compris la fin"... "Normal, c'est une fin ouverte. Chacun doit y réfléchir et trouver sa réponse", ai-je répondu, tout en ne sachant pas moi-même qu'en penser. Peut-être le film voulait-il suggérer que ce n'est pas celui qui mène le combat qui importe, mais le combat lui-même, et qu'il faut juste garder l'espoir et le transmettre afin que les générations suivantes continuent la lutte. Après tout, sous ses dehors de beau ténébreux, Albator est un très vieil homme. Quand on le voit, sombre, assis sur son trône, la main posée sur la tête de mort, on pense à Hamlet et à la fameuse réplique "être ou ne pas être". C'est la question qui semble le hanter tout au long du film. Cette version de 2013 a délaissé le côté wagnérien du pirate pour en faire une sorte de souverain shakespearien.


 

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